Lorgues
Le Père Jean de Matha Thomas (1894-1976) Les catholiques de la Pologne rattachée à la Russie, ou de l'Ukraine de la région de Lvov, n'avaient plus d'évêque depuis 1946. Apprenant qu'il y avait un administrateur apostolique à Moscou, ils demandèrent au P. Thomas de vouloir bien ordonner prêtres leurs séminaristes. Hélas ! il n'était pas évêque. J'ai trouvé aux archives de l'ambassade des traces de démarches auprès de Rome, en vue de faire conférer l'épiscopat au P. Thomas. Rome, qui s'était compromise dans le passé par des ordinations clandestines, hésita. Et le KGB veillait. Il avait en effet, fait nommer une nouvelle " Vingtaine " composée uniquement de Russes, laquelle demanda un prêtre à l'archevêque catholique de Riga, Mgr Stringovics, qui désigna un prêtre polonais, l'abbé Boutourovicz, auquel le KGB donna un bel appartement à Moscou. Le 13 mai 1950, la présidente et la vice-présidente de la nouvelle "Vingtaine" vinrent demander au P. Thomas les clefs de l'église. Il dut s'exécuter. Insensiblement, il était refoulé, jusque de son confessionnal. En dépit des efforts diplomatiques de notre ministre des Affaires Etrangères, M. Robert Schuman, du Chargé d'affaires, M. Charpentier, l'église Saint-Louis-des-Français était enlevée à la France. Le visa du P.Thomas avait expiré depuis plus d'un an. Il fut prié de quitter l'Union Soviétique. Les protestations furent vaines : " Il n'appartenait pas, aux yeux des Soviétiques, à des diplomates étrangers, même amis, d'interpréter la loi soviétique sur les cultes. Un modus vivendi n'aurait pu être trouvé qu'au terme d'un accord entre l'U.R.S.S et le Saint-Siège". or, c'était l'époque où se développait à Moscou une xénophobie effrénée et une hostilité à l'égard de l'Eglise Catholique telle que, sans doute, l'histoire des rapports entre Rome et Moscou n'en avait encore jamais connue. Le 25 août 1950, le P. Thomas dit sa dernière messe solennelle à Saint-Louis. C'était la dernière messe française, le jour de la fête patronale, dans une église qui appartenait à la France, et dont les catholiques avaient la jouissance par la grâce de Catherine II depuis 1789, année de la Révolution Française. A la messe, célébrée à midi, assistaient quatre ambassadeurs : France, Grande-Bretagne, Italie, Etats-Unis, beaucoup de catholiques et beaucoup qui ne l'étaient pas, au point que le service d'ordre fut débordé. C'était une manifestation en faveur de la France et de la Liberté. Le 28 août, le P. Thomas quitta Moscou à regret. L'ambassadeur Chataigneau l'accompagna par vol Helsinki-Stockholm- Le Bourget, pour lui exprimer l'estime et la reconnaissance de la France. Au Bourget, le P. Thomas fut assailli par une meute de journalistes et de photographes. Sachant que le Quai d'Orsay ne cherchait pas à lui donner un successeur qui n'aurait pas eu la jouissance de l'église, le Père parla librement. Il n'avait pas de ressentiment contre le peuple russe, mais contre un système qu'il avait eu tout le temps d'observer. Madame Ott, pour laquelle il avait éprouvé une vive admiration,
avait été condamnée à 15 ans de camp de régime
sévère, en Mordovie. Sa fille fut internée 10 ans en
maison psychiatrique, soit qu'elle eut simulé la folie, soit qu'elle
eut vraiment un sérieux accès. Leur affaire fut révisée
sous le "règne " de Khroutchev qui, tout en continuant
à persécuter l'Eglise, avait ouvert le Goulag, libérant
des millions de prisonniers. Après bien des démarches de la France, Madame Ott et sa fille purent enfin rentrer en France le 7 juin 1960, sur l'intervention du Général de Gaulle auprès de Khroutchev. La congrégation de l'Assomption s'intéressa au sort des deux Alice. Elles passèrent, en 1960, un temps de repos à la maison de Lorgues où elles eurent la joie de retrouver l'ancien curé de Moscou, devenu curé-doyen de Lorgues. " Antoine Wenger |