Lorgues

Pères Assomptionnistes

  Le Père Jean de Matha Thomas (1894-1976)
Ancien administrateur apostolique de Moscou,
Curé de Lorgues de 1951 à 1962

Par P. Antoine Wenger . Article paru dans V.A.L ( Vivre à Lorgues) N°68 décembre 2003

 " Les Lorguais qui ont aujourd'hui de soixante à quatre-vingt ans se souviennent sûrement d'un curé qui avait belle prestance et barbe fleurie.

Le Père Jean de Matha Thomas avait eu une carrière hors du commun. D'abord curé d'un groupe de français dans des mines de cuivre à Bor, en Yougoslavie, aux confins de la Bulgarie, il y fut surpris par la guerre et l'avancée des Allemands. Fait prisonnier, il fut - grâce à l'intervention du nonce de Belgrade, Mgr Pellegrinetti - enfermé dans un couvent des Pères franciscains à Vienne.

A la Libération, il revint en France. Or le gouvernement français cherchait un curé pour la paroisse Saint-Louis-des-Français à Moscou, que le précédent curé, l'évêque Mgr Neveu, avait quittée en 1936 pour raison de santé et n'avait jamais pu obtenir d'y revenir. Le P. Thomas était l'homme pour le remplacer : belle prestance, barbe orientale, la parole haute, des manières diplomatiques.

Aussi le gouvernement français demanda dès 1946 un visa pour trois prêtres russes orthodoxes pour la France. En échange, la France exigea la délivrance du visa pour le P. Thomas. 

Il arriva donc à Moscou le 23 mai 1947, via Stockholm et Helsinki. "Le travail ne manque pas à Saint-Louis où le dimanche il y a trois messes : 9 heures, 10 heures (chantée), 12 heures, et plus de 500 communions" , écrivait-il. D'autre part, la Secrétairerie d'Etat du Vatican, qui l'avait nommé administrateur apostolique avec juridiction épiscopale pour toute la Russie, l'avait prié de continuer le service d'information sur l'U.R.S.S qu'assurait son prédécesseur.

 Les temps étaient cruels. C'était l'époque de la deuxième vague d'arrestations et de déportations au Goulag, dont furent victimes des millions de Soviétiques coupables d'avoir été prisonniers durant la guerre, ou en contact avec l'occupant, ainsi que les Russes de la première immigration et leurs enfants rentrés dans leur patrie sur la foi d'une promesse d'amnistie, ou encore toute personne en U.R.S.S qui, en raison de sa situation, était susceptible d'avoir eu des relations avec l'étranger.

C'est ainsi que furent arrêtés, le 6 décembre 1947, après l'office, la gérante de l'église, Madame Ott, née Lapierre , à Lyon, et sa fille Alice Ott, Monsieur Ott, le mari, d'origine alsacienne, professeur d'hydrologie à l'Université, travaillait dans le domaine sensible des fusées. Il fut arrêté le 5 mars 1937, condamné à 8 ans pour espionnage et mourut à son arrivée au camp de Vladivostok, le 16 janvier 1938.
Le P. Thomas était dès lors privé de ses collaborateurs, sans lesquels, d'après la loi soviètique, le culte ne pouvait s'exercer. En effet, l'église était remise à la "Vingtaine ", vingt personnes élues par le groupe catholique, qui devaient nommer un secrétaire responsable de l'observation de la loi, en l'occurrence Madame Ott. Les Soviétiques fermèrent d'abord les yeux et, soutenu par l'ambassade de France où il était logé, le P. Thomas assurait malgré tout les offices.

Le Père dont j'ai retrouvé les archives à l'ambassade de France - lorsque j'étais conseiller pour les affaires religieuses, de 1991 à 1996- était un optimiste. Il n'hésitait pas à braver les règles et entrait volontiers en relation avec les orthodoxes. Lorsque, en juillet 1948, par exemple , l'Eglise orthodoxe célébra le 500e anniversaire de son autonomie, le P. Thomas entra dans la cathédrale patriarcale où avait lieu la célébration. Le service d'ordre le prit pour un membre de la délégation française et le fit placer parmi les évêques. Il fut admis à saluer le Patriarche Alexis 1er - plutôt étonné d'apprendre qu'il était salué par le curé de Saint-Louis-des-français de Moscou ! Le P. Thomas rencontra aussi le Patriarche de Serbie qu'il avait connu à Belgrade. On le voit, malgré toutes les menaces, le Père Jean de Matha était dans son élément.


 

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